Déclaration commune : pour un vrai bilan du règlement P-6!

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Montréal, le 16 juin 2014

Le 26 mai dernier, lors du conseil municipal de la Ville de Montréal, le parti d’opposition Projet Montréal a déposé une motion demandant un bilan de l’application du règlement P-6, qui vise à “encadrer” les manifestations, événements ou rassemblements se déroulant sur le domaine public.

Nous avions alors été plus de 300 personnes à co-signer une lettre en appui à la dite motion (“Pour un bilan de l’application du règlement P-6”, Le Devoir, 26 mai 2014). Celle-ci a cependant été battue. Le maire Denis Coderre, saluant à plusieurs reprises le travail de la police, a affirmé que P-6 resterait en place tant qu’il serait au pouvoir. De son côté, Anie Samson, la présidente de la Commission de la sécurité publique, promettait qu’un bilan de l’application de P-6 serait réalisé par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) lui-même et déposé lors du conseil municipal du 16 juin.

Le conseil municipal cautionne ainsi le fait que la police s’auto-“évalue” tandis que les citoyennes et citoyens sont complètement tenu-e-s à l’écart.

Nous dénonçons avec force un tel manque de transparence et un refus aussi flagrant d’inclure la population montréalaise! Car l’application du règlement P-6 a un coût de plus en plus élevé pour la population et pour la démocratie.

P-6 a un coût en termes de libertés civiles

Selon le maire Coderre: “Dans une métropole qui se respecte, je ne vois pas pourquoi — et ça se fait dans le reste du monde — on ne donne pas un itinéraire. Au Canada et à Montréal, on n’a pas besoin de porter un masque pour manifester” (“Le règlement municipal P-6 est là pour de bon, dit Coderre”, Le Devoir, 27 mai 2014). Les droits et libertés ne seraient donc aucunement bafoués et il n’y aurait aucune raison de s’inquiéter.

Ce n’est pourtant pas l’avis du Barreau du Québec, de l’Association canadienne des libertés civiles, de la Ligue des droits et libertés, de l’Association des juristes progressistes et d’Amnistie internationale, pour ne citer que quelques organisations ayant pour vocation la défense de nos droits et libertés.

Il y a matière à s’inquiéter, entre autres, parce que le règlement P-6 confère un pouvoir discrétionnaire au SPVM, qui décide tout seul et sans avoir de comptes à rendre de ce qui est une “bonne” ou une “mauvaise” manifestation. La police décide ainsi à qui la loi s’applique. Comme l’avaient souligné plusieurs des organisations mentionnées ci-dessus, un tel pouvoir ouvre la porte à l’arbitraire, au profilage social et politique et aux abus de toute sorte.

Mais il est encore plus scandaleux d’entendre nos élu-e-s se féliciter de telles pratiques! Ainsi, le 26 mai dernier, Anie Samson affirmait que depuis le début de l’année 2014, P-6 n’avait été appliqué que 2 fois sur 94 manifestations. Donc, bien qu’un nombre non négligeable de ces manifestations n’aient pas divulgué d’itinéraire, seules les manifestations du 15 mars contre la brutalité policière, organisée par le COBP, et du 1er mai, organisée par la CLAC, ont été réprimées (https://www.youtube.com/watch?v=zVyqAlvaa10). Cela équivaut à reconnaitre explicitement le profilage politique et à le légitimer!

Afin de justifier un tel profilage, on affirme qu’il s’agit de mesures préventives pour empêcher la “violence” sur laquelle déboucheraient inévitablement les manifestations du 15 mars et du 1er mai. Or, toutes les études sur la violence lors de manifestations démontrent que celle-ci est le produit de l’interaction entre les différentes parties impliquées. En d’autres termes, la police y est pour quelque chose. De plus, comme l’ont rappelé 120 professeur-e-s ayant récemment demandé la démission de Marc Parent et de Ian Lafrenière, respectivement directeur et porte-parole du SPVM: “d’année en année, la plupart des accusations sont abandonnées lors des procès, car elles n’ont pas de fondement légal. Les arrestations ne sont ainsi qu’un indicateur non pas de la ‘violence’ des manifestants, mais plutôt de l’ampleur de la répression policière. Il s’agit donc d’un raisonnement circulaire (on vous arrête cette année parce qu’il y a eu beaucoup d’arrestations les années précédentes) qui ne vise qu’à légitimer du profilage politique” (“Nous exigeons la démission de Marc Parent et de Ian Lafrenière du SPVM”, Le Devoir, 18 mars 2014).

Enfin, lors du conseil municipal du 26 mai, madame Samson n’a parlé que de l’application de P-6 depuis le début de l’année en cours. Or, depuis sa modification le 18 mai 2012, au moins 3061 personnes ont été arrêtées en vertu de P-6. Comment le SPVM, censé savoir faire preuve de discernement, justifie-t-il autant d’arrestations?

P-6 a un coût économique

L’application du règlement P-6 a également d’importantes implications économiques. En attendant que le SPVM veuille bien divulguer des données complètes et précises, nous pouvons d’ores et déjà souligner que, depuis 2012, le nombre des effectifs policiers déployés pour encadrer les manifestations semble avoir augmenté de façon exponentielle.

À titre indicatif, le 10 octobre dernier, une manifestation contre la compagnie pétrolière Enbridge a attiré environ 150 personnes. Une demande d’accès à l’information auprès du SPVM indique que 424 policiers et policières étaient affecté-e-s à l’encadrement de cet événement. Il semble que pour les manifestations du 15 mars et du 1er mai, les effectifs policiers déployés étaient encore plus importants. Ces policiers et policières ne travaillent très certainement pas bénévolement. Ajoutons qu’en plus de nécessiter un fort déploiement policier – si important que le SPVM doit même louer des véhicules pour assurer les déplacements de ses agents, les siens ne suffisant pas à la tâche – ces arrestations augmentent de plusieurs heures le temps (facturé) consacré par le SPVM à l’encadrement de manifestations.

De même, lorsque des arrestations de masse sont effectuées, le SPVM réquisitionne plusieurs autobus de la STM. Réquisitionner des autobus et du personnel de la STM doit bien avoir un coût.

Tout ceci sans compter que la grande majorité des quelques 3000 contraventions émises à ce jour font actuellement l’objet de contestations devant les tribunaux, entraînant de nombreuses heures de travail pour les employé-e-s de la cour municipale. À cela s’ajoutent aussi les procédures de contestation constitutionnelle du règlement et onze recours collectifs déposés contre la Ville de Montréal. Nous pouvons en conclure que les frais juridiques associés à l’application actuelle du règlement P-6 sont très élevés.

En cette période d’austérité, alors que l’État répète sans cesse que nous manquons d’argent et qu’il est impératif de réduire les dépenses, pourquoi le budget des forces de l’ordre bénéficie-t-il d’un traitement de faveur? Pourquoi la matraque passe-t-elle avant le logement, la santé, l’éducation, la culture, l’environnement, etc.?

Pour un audit citoyen de l’application du règlement P-6

Face à de telles questions et aux enjeux fondamentaux qu’elles soulèvent, l’administration Coderre fait la sourde oreille et ne cesse de réaffirmer, de façon dogmatique, sa croyance en les bienfaits de P-6.

Pour nous rassurer et nous faire taire, on nous promet que le SPVM lui-même fera le bilan de l’application de P-6. Cela ne nous rassure pas, bien au contraire, puisque le SPVM se retrouve à la fois juge et partie.

Aucun débat public sur les critères et les indicateurs appropriés d’un tel bilan; aucune évaluation externe et indépendante; et aucun mécanisme permettant de valider, ne serait-ce que partiellement, ce bilan auprès de la population. Bref, aucune crédibilité pour ce qui s’annonce comme un bilan de pacotille.

C’est pourquoi nous réitérons une fois de plus qu’il est indispensable que la Ville de Montréal, par souci de transparence et en gage d’ouverture, dresse un bilan complet et détaillé du règlement P-6 en partenariat avec des organisations de la société civile afin que la population puisse contribuer à la définition des critères et des objectifs d’un tel exercice. Les exigences du SPVM ne peuvent, à elles seules, justifier l’existence ou le maintien de ce règlement. La démocratie en dépend!

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