Le Devoir : Gouvernance des universités – Une loi qui va à l’encontre des meilleures pratiques

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Le Québec peut être fier de s’être bâti un réseau universitaire performant de grande qualité, reconnu internationalement, dont les acteurs jouent un rôle majeur dans l’essor économique, social et culturel de notre société. Que ce soit par la réalisation de percées scientifiques décisives, l’orientation de la réflexion sur les enjeux de notre époque ou en contribuant au développement régional, nos universités constituent un véritable vivier des leaders de demain.

Il reste que les universités québécoises jouent désormais sur une scène internationale où la lutte pour attirer les meilleurs chercheurs et les meilleurs étudiants est féroce. Afin de maintenir une position avantageuse sur cet échiquier mondial du savoir, les établissements universitaires doivent pouvoir réagir avec souplesse et efficacité aux nouveaux besoins et aux nouvelles réalités. L’autonomie dont elles ont bénéficié jusqu’à présent leur a assuré une formidable réussite.

Le projet de loi n° 38 sur la gouvernance des universités, déposé en juin dernier par la ministre de l’Éducation Michelle Courchesne, risque, s’il est adopté, de limiter la capacité d’agir dont les établissements disposent et ainsi nuire considérablement à leur performance et leur compétitivité. De toute évidence, le gouvernement semble croire qu’une meilleure reddition de comptes ne peut passer que par l’application d’un modèle de gestion contraignant et limitant l’autonomie des institutions.

Gouvernance moderne
Soulignons d’entrée de jeu que les universités québécoises adhèrent sans réserve aux principes reconnus de bonne gouvernance. Conseil d’administration efficace, diversifié, composé de membres compétents et en majorité indépendants, trois comités du conseil — dont un comité de vérification –, reddition de comptes complète et transparente sont autant d’objectifs, parmi d’autres, que partagent les établissements universitaires québécois. Il est tout à fait justifié d’exiger transparence et imputabilité de la part de tributaires de fonds publics afin d’assurer une utilisation efficace et responsable des sommes qui leur sont accordées.

Le souhait de la ministre, tel qu’il a été énoncé dans le communiqué diffusé à la suite du dépôt du projet de loi, est celui de «moderniser» la gouvernance des universités en leur permettant «de conserver leurs spécificités et leurs valeurs tout en adoptant des principes de gouvernance reconnus à l’échelle internationale». Or, une étude des meilleures pratiques dans le monde en matière de gouvernance des universités révèle que nombre de juridictions tentent plutôt de faire évoluer leur système universitaire dans le sens de l’autonomie et de la décentralisation. On ne peut donc que s’étonner — et même s’inquiéter — que le Québec amorce un virage dans le sens inverse.

En voulant imposer des normes rigides telles que celles contenues dans le projet de loi n° 38, le gouvernement du Québec semble se soucier davantage du mode de fonctionnement des universités que de leur performance. Cette façon de faire est tout à fait contraire à ce que recommande la Banque mondiale, dans une série de documents portant sur l’éducation publiée en 2009 et qui révèle une nette tendance vers un modèle de gouvernance favorisant plutôt la responsabilisation.

Flexibilité demandée
Parmi les récentes études portant sur la gouvernance des établissements d’enseignement supérieur, on remarque notamment des références aux modèles élaborés par le Royaume-Uni, l’Australie et le Danemark, cités en exemples comme leaders en la matière. Plutôt que de recourir à un cadre législatif, ces gouvernements ont choisi d’établir un ensemble de principes directeurs. Il revient ensuite aux établissements d’établir leurs priorités et leurs objectifs en se basant sur ces principes.

Le domaine de la gouvernance étant constamment en évolution, cette approche présente une flexibilité qu’une loi n’offre pas. L’approche du projet de loi n° 38 s’inscrit complètement à l’opposé de cette tendance, en détaillant jusqu’aux modalités de remplacement d’un administrateur ou encore, en exigeant un compte rendu de l’assiduité des administrateurs aux réunions du conseil, entre autres. Il est clair que des dispositions du projet de loi n° 38 seraient caduques bien avant qu’elles ne soient modifiées.

Outre l’imposition de règles strictes, le projet de loi n° 38 prévoit également une multiplication des données et rapports à fournir par les universités. Cette approche voulant qu’une meilleure imputabilité passe par un alourdissement des formalités administratives ne peut que laisser perplexe. […]

D’exiger que les universités fournissent le procès-verbal de chaque réunion du conseil d’administration, ainsi que tous les documents qui s’y rapportent, tel que le prévoit le projet de loi n° 38, voilà qui constitue de la microgestion dont on ne saurait voir la pertinence, si ce n’est que d’ajouter à la lourdeur administrative. Il serait plus opportun que le gouvernement cible l’information la plus pertinente afin de pouvoir l’analyser plus efficacement.

OCDE
Un récent rapport du Forum économique mondial faisant l’éloge du système universitaire canadien, qui se trouve justement à être à l’échelle internationale l’un des systèmes qui offrent le plus d’autonomie à ses établissements universitaires. Pour sa part, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) insiste sur le fait que les institutions évoluant au sein d’une culture favorisant l’autonomie et la responsabilisation sont plus performantes à long terme que celles soumises à une microgestion.

Un cadre trop restrictif, en imposant un modèle unique de fonctionnement, vient nier les valeurs, les traditions et la culture propres à chaque institution. L’une des principales forces — et richesses — du réseau universitaire québécois réside dans sa diversité, qui permet à chaque institution de miser sur ses forces de manière créative et innovante. Nous croyons que l’application des principes de bonne gouvernance ne sera efficace que si elle est modulée en fonction des particularités de chaque établissement.

Dans l’économie du savoir du XXIe siècle, les universités jouent un rôle primordial dans l’essor du Québec. Il revient au gouvernement du Québec de leur offrir les outils et les moyens pour leur permettre de continuer à se mesurer avantageusement aux meilleurs établissements universitaires du monde et de viser toujours plus haut. Le cadre législatif proposé par le gouvernement, loin de proposer une approche moderne et responsable, ne pourra que les affaiblir…

Heather Munroe-Blum, Présidente du conseil d’administration de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ), principale et vice-chancelière de l’Université McGill

Consultez l’opinion parue dans l’édition du 29 septembre 2009 du Devoir.

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