Le Devoir : Libre opinion – À qui appartient l’université ?

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Le projet de loi no 38 sur la gouvernance des universités a suscité un refus pratiquement unanime de la part des porte-parole universitaires. Tous les discours vont dans le même sens: l’université est bien gérée et l’ingérence externe met en péril les fondations de l’institution. Est-ce dire qu’il faut donner carte blanche aux universités?

Les représentants universitaires ont de bonnes raisons d’émettre des réserves sur l’impact réel des changements annoncés par le gouvernement du Québec. J’y souscris également, mais au contraire de mes collègues, je considère comme nécessaire une intervention du gouvernement, et je ne suis pas à ce point alarmiste sur les dangers de l’ingérence externe. Dans ce dossier, le discours dérape et la réaction excessive dérange.

Le dernier plaidoyer en liste est celui de Mme Heather Munroe Blum, présidente du conseil d’administration de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec: «Promouvoir des lois et des règlements détaillés va à l’encontre des meilleures pratiques en matière de gouvernance… Plutôt que de promulguer une loi, le ministère de l’Éducation devrait conclure des ententes de partenariat avec chaque établissement.» Incidemment, à l’Université McGill, que dirige Mme Munroe Blum, on voudrait bien imposer ses propres droits de scolarité et règles de financement.

La montée aux barricades a démarré avec les dérapages de l’UQAM. Plusieurs discours enflammés ont même évoqué la disparition pure et simple de l’université sous la forme d’une institution de savoir et de sagesse qu’elle a incarnée au cours du dernier millénaire. Rien de moins. La Fédération québécoise des professeurs d’université n’entend pas à rire non plus: «La Table des partenaires universitaires rejette la vision monolithique de la gouvernance. […] Nous rejetons toute centralisation du pouvoir entre les mains d’une nouvelle élite gestionnaire, branchée sur le milieu d’affaires, imposant une marginalisation de la gestion collégiale sous des prétextes fallacieux.» Qu’est-il en train de se tramer pour détruire les fondations du savoir?

Pour avoir vécu les processus de décision — et ses nombreux dédales — dans le milieu universitaire, je peux déjà dire que le cyclone annoncé s’apparente plutôt à une tempête dans un verre d’eau. Tout au plus peut-on espérer que cette imputabilité redéfinie dans la loi 38 aura pour effet de freiner l’obsession du béton, la prolifération des centres satellites et la croissance des frais de gestion.

Dans les faits, l’université peut se rassurer: les craintes d’ingérence concernant ses orientations sont pratiquement nulles. D’abord, il faut bien réaliser que personne de l’externe n’a la compétence pour juger de la pertinence des centaines de programmes de formation. Dans un contexte où l’université se tourne de plus en plus vers la recherche et non l’enseignement, il faut bien voir également que les décisions reviennent à quatre entités aux objectifs bien différents: l’administration aux multiples niveaux de décision; les syndicats et associations de toutes sortes; le professeur-entrepreneur qui est le seul maître de son succès ou de son échec; le système flou des pairs qui accorde les précieux sous pour le fonctionnement de la recherche.

Loin de constituer une «pensée en bloc», la diversité d’objectifs constitue un excellent rempart contre l’appropriation du pouvoir par un seul réseau d’influence. Mais est-ce dire que le statu quo est un incontournable? Non, car l’université n’appartient pas à ses dirigeants.

Pour le commun des mortels, la question est idiote. L’Université du Québec appartient au peuple parce qu’elle est publique. Les fonds qui font fonctionner l’université et la recherche proviennent pour l’essentiel des citoyens.

En 2006, l’université accaparait 60 % des dépenses de l’éducation, alors que les inscriptions ne représentaient que 15 % du total des effectifs scolaires. Comme pour les autres postes de dépenses, et à cause de l’importance des coûts, les représentants élus de la population ont donc le devoir d’examiner les pratiques de gestion de l’université avec le plus d’indépendance et de transparence possible. C’est la loi des monopoles publics.

Par exemple, Hydro-Québec doit faire accepter ses tarifs par la Régie de l’énergie, le gouvernement analyse son plan d’équipement dans des commissions parlementaires périodiques, les plans stratégiques périodiques font acte de loi. Conclure des ententes de partenariat avec chaque établissement mène au contraire aux dérives de type UQAM.

Il est tout à fait légitime pour le gouvernement du Québec d’avoir un meilleur contrôle des comptes et dépenses des universités. On peut même souhaiter que le gouvernement aille plus loin. Quarante ans après l’impact de la Révolution tranquille et la création de l’UQ, dans un contexte où la vocation de l’université se tourne vers la recherche, que le coût par étudiant formé va augmenter considérablement à cause du contexte démographique, pourquoi pas un débat public qui renseignerait un peu plus la population sur le profit de leur investissement?

Gaëtan Lafrance, Professeur et auteur

Consultez l’article intégral de l’édition du 2 octobre 2009 du Devoir.

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