Le Devoir : Partenariat industrie-université – Un bon mariage pour la recherche ?

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La recherche québécoise est devenue une affaire économique

La disparition de l’Agence des partenariats public-privé (PPP) a été pour plusieurs le symbole de la mise au rancart de cette démarche utilisée par le gouvernement pour la réalisation de grands projets. Or, dans les universités, le secteur privé est un partenaire important pour financer la recherche dans plusieurs domaines. Inquiétant ou intéressant?

À l’École de technologie supérieure (ÉTS), où le secteur public finance plus de la moitié de la recherche, on considère que l’industrie a certainement un rôle central à jouer. «Ce n’est pas incompatible avec notre rôle de formation. Tout le monde est gagnant à travailler en partenariat», indique d’emblée Claude Bédard, doyen de la recherche à l’ÉTS.

Sans nier le rôle important que l’industrie peut jouer dans la recherche, Cécile Sabourin, professeure en sciences du développement humain et social à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), s’inquiète du fait que l’industrie impose ses sujets de recherche au monde universitaire. «Actuellement, les chances de trouver du financement pour un professeur ou un étudiant chercheur sont très faibles si ses travaux n’intéressent pas directement une entreprise. Pourtant, le choix de financer ou non un projet de recherche devrait être pris en considérant son intérêt pour la population en général et pas seulement son intérêt commercial», affirme-t-elle.

Max Roy, président de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), fait également remarquer que le grand responsable de l’attribution des fonds de recherche au Québec n’est plus le ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport, mais le ministère du Développement économique, innovation et exportation. «C’est symptomatique de ce qui se passe», croit-il.

Des projets stimulants

Il n’en demeure pas moins que, pour plusieurs étudiants, travailler sur des projets con-crets avec des entreprises est quelque chose de très motivant. «À l’ÉTS, on est reconnu pour nos liens très forts avec l’industrie, alors les étudiants nous choisissent pour ça. Ils s’attendent à ça», affirme M. Bédard.

Un exemple de projet qui fonctionne particulièrement bien? Il mentionne les grands projets menés par les consortiums qui regroupent plusieurs universités et entreprises, comme le Consortium de recherche et d’innovation en aérospatiale au Québec (CRIAQ).

«Nous travaillons sur des technologies préconcurrentielles, donc les connaissances peuvent être partagées. On a eu dernièrement un grand projet avec l’École polytechnique, Thales et Bombardier pour travailler sur des ailes flexibles qui réduiraient la friction avec l’air et ainsi consommeraient moins de carburant. On était vraiment au début du processus et on ne pourrait pas voir ce genre d’ailes sur le marché avant plusieurs années», explique Claude Bédard.

Visées à court terme ou à long terme

Le doyen de la recherche à l’ÉTS est bien conscient que, en contribuant à la recherche, l’industrie vise tout de même la rentabilité et qu’elle a généralement des visées à court terme. Il croit tout de même que la recherche effectuée dans le cadre d’un partenariat liant l’université et l’entreprise fait, d’une certaine façon, avancer la société. «Nous aidons les entreprises dans leurs secteurs d’activité et cela contribue à l’avancement du Québec et du Canada, qui deviennent plus concurrentiels. Ainsi, on arrive à se tailler une place enviable en cette ère de mondialisation», explique Claude Bédard.

Cette vision à court terme de la recherche, de la part des entreprises, est tout de même inquiétante en raison du contexte actuel, croit Cécile Sabourin.

«La recherche effectuée en collaboration avec l’industrie devrait se faire en complément d’une base forte de recherche publique, où on mettrait l’accent sur le long terme, comme la recherche fondamentale, les questions de santé, de sécurité et d’environnement. On doit aussi penser aux sciences humaines, sociales et autres parents pauvres de la recherche, puisqu’ils n’ont pas vraiment d’intérêt pour les entreprises.»

Des balises essentielles

Tous les experts consultés s’entendent tout de même pour dire que, lorsqu’il est question de recherche en collaboration avec le secteur privé, des balises sont essentielles.

«C’est bien évident que notre rôle premier est de former des étudiants, et il faut les protéger. Par exemple, ils doivent écrire leur thèse, la défendre et la publier. On ne peut accepter que l’entreprise empêche de divulguer de l’information qui empêcherait l’étudiant d’avancer dans son parcours d’étude et d’obtenir son diplôme. On met toujours ça au clair dès le départ», affirme M. Bédard.

À la FQPPU, on croit qu’on devrait aller plus loin pour s’assurer que l’université ne devienne pas un sous-traitant de l’entreprise privée. Ce qu’on propose? La création d’un organisme public indépendant et crédible. «On doit se doter d’un mécanisme de supervision et de contrôle, affirme Max Roy, parce que, lors d’un partenariat de recherche avec une entreprise, s’il s’avère que les résultats ne sont pas ceux escomptés, les chercheurs ne doivent pas subir de pression pour éviter qu’on publie ces données. C’est délicat lorsque c’est l’industrie qui paye les salaires de l’équipe de chercheurs. Il faut minimiser les risques de dérive parce que, sinon, les conséquences peuvent évidemment être très graves.»

Cécile Sabourin, ex-présidente de la FQPPU et maintenant membre du comité Sciences et démocratie Québec, affirme qu’on doit exiger davantage en recherche que des déclarations volontaires.

«Les rapports de recherche doivent être sérieusement étudiés et, au besoin, des contre-expertises doivent être réalisées, explique-t-elle. On a donc besoin de gens qui possèdent les connaissances scientifiques nécessaires et qui travaillent de façon indépendante. Le gouvernement s’est débarrassé de ces personnes dans les années 90, avec la lutte contre le déficit. Avec la création d’un organisme public fort, le gouvernement pourrait recommencer à jouer un rôle de chien de garde.»

Consultez l’article intégral de Martine Letarte de l’édition du 24 février 2010 du Devoir.

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