La liberté d’expression en danger?

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Par Stéphanie Gingras-Dubé, déléguée syndicale

À en croire nos grands médias, la liberté d’expression serait en danger dans les universités québécoises, particulièrement à l’UQAM. Pour Mathieu Bock-Côté1, « des extrémistes de gauche font régner une petite terreur quotidienne à l’UQAM »  et ce parce qu’ils « barbouillent les murs, ils interrompent des conférences, ils sont violents, ils gâchent la vie d’un peu tout le monde, et cela, dans un climat général d’impunité. » D’autres, comme Henri Marineau2, sont d’avis qu’un « phénomène de censure répressive » s’empare des universités pour les transformer « en ghettos culturels où la rectitude drastique aura pignon sur rue… » Il terminait sa lettre au Devoir en appelant à mettre un frein au phénomène « pour le plus grand bien de la liberté d’expression ! »

Aux États-Unis, en février 2017, une conférence de Milo Yiannopoulos à l’Université Berkeley a été annulée suite à des manifestations. Plusieurs ont déploré cette « atteinte à la liberté d’expression ». Publiant des titres tels que « Birth Control Makes Women Unattractive and Crazy » ou « #BlackLivesMatter Stokes Global Chaos » chez Breitbart News, Yiannopoulos s’inscrit dans la mouvance d’extrême droite nationaliste blanche aux États-Unis.

« If U.C. Berkeley does not allow free speech and practices violence on innocent people with a different point of view – NO FEDERAL FUNDS? » (Donald Trump sur Twitter, 2017)

Pendant que certains se soucient de la liberté d’expression des idéologues de droite, des antiféministes et des transphobes, des groupes d’extrême-droite tentent de prendre de plus en plus de terrain dans nos quartiers et universités. Au Quartier latin, on peut penser au groupe islamophobe suprémaciste blanc Soldiers of Odin3 qui a tenté de faire des « patrouilles » ou des distributions de nourriture aux militants anti-choix près de la clinique d’avortement du quartier à l’hiver 2018, ou encore aux néo-nazis qui sont venus perturber et intimider une conférence de l’UPOP en février 2018. Pour ce qui est de l’UQAM, « ces groupes savent que c’est dangereux de s’y présenter frontalement, alors ils sont plus discrets », nous dit Antonin* du comité antifasciste BASH-UQAM formé à l’automne 2017. Le phénomène n’y est donc pas massif « mais on reste vigilant-e-s étant donné la présence de graffitis racistes, transphobes et misogynes ou d’actions antiféministes, comme au sein du Département de philosophie l’année dernière » souligne-t-il.

Réclamer une université libre de misogynie, de racisme, de transphobie, voire de fascisme est automatiquement taxé d’atteinte à la liberté d’expression ou d’injonction au « politically correct ». Mais quelles sont les conséquences de cet acharnement à défendre ces « points de vue différents » ?

Miner la prise de parole des opprimé-e-s

Comme le souligne Antonin* du comité antifasciste BASH-UQAM: « avec la montée de l’Alt-Right depuis 2 ans, on observe aussi beaucoup de prises de paroles masculinistes ou racistes dans les cours… et les profs ne font pas toujours leur travail de recadrage, sûrement pour protéger la sainte liberté d’expression! » Lorsqu’à l’Université, certain-e-s professeur-e-s tiennent des discours de droite identitaire et que des conférences incluant ce genre d’idéologies sont acceptées et défendues par l’administration, cela a pour conséquence d’affecter la participation des personnes racisées. Sofia*, du groupe FRUeS (Féministes racisé-e-s uni-e-s et solidaires) et Mariam* du SDHPP (Solidarité pour les droits humains des Palestinien-ne-s), témoignent de l’effet de la présence de ces discours sur leur prise de parole :

« Je pense que ça donne envie de se taire lorsqu’il y a des commentaires racistes.

– Tu te tais, mais t’avales, parce que t’entends. On a des oreilles, on a un cerveau, on a une mémoire. Tu vas t’en rappeler longtemps. Pis de ton expérience à l’université, c’est de ça que tu vas te rappeler.

– Parce que c’est vraiment dur de justifier son existence. Et ça revient à ça quand on parle de migration. J’ai pas envie de justifier mon existence. »

Pour Antonin, la présence de discours haineux à l’université a aussi pour conséquence de créer un climat de peur, comme la « peur chez les personnes opprimées par le genre de se promener seules à certains étages ». Mariam et Sofia mentionnent quant à elles l’impact que cela peut avoir sur leur parcours universitaire : devoir annuler un cours, devoir poursuivre un cours malgré un inconfort évident, sentiment de devoir jouer la « porte-parole des personnes racisées » parce que personne d’autre ne réagit aux propos racistes. Le fait de subir ces stress constants ne favorise en rien la participation des étudiant.e.s racisé.e.s à l’université. Il en va de même pour les personnes queer et trans, dont l’existence est constamment remise en question, ainsi que les femmes qui subissent de la misogynie, du harcèlement et dont la parole est moins prise au sérieux. N’oublions pas que ces catégories ne sont pas mutuellement exclusives. Qu’en est-il de la « liberté » de ces personnes?

Notre rôle comme mouvement syndical étudiant?

En tant que mouvement étudiant et syndical, il faut apprendre à reconnaître et dénoncer les discours haineux, même lorsqu’ils se déguisent en discours de gauche ou se cachent sous le couvert de l’humour. « Il faut toujours rester sur nos gardes parce que ce que nous combattons va chercher à s’implanter et à renaître sous des formes très diverses » nous prévient Antonin. La lutte passe donc par l’éducation populaire, l’organisation d’événements féministes et antiracistes, le soutien à des organisations comme FRUeS et SDHPP, mais aussi en faisant obstacle à toutes activités publiques d’extrême-droite. Nous devons donc prendre position contre le fait de les tolérer à l’université, au risque d’être la cible de chroniques absurdes dans le Journal de Montréal.

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